« Le Mur » a vu le jour en juillet 2021 : après deux années de pandémie et d’impossibles rencontres, le désir était là de retrouver le public autour d’artistes de qualité, et de leur travail. Pauline Sauveur et Laurent Herrou, les fondateurs de Public Averti, collectif créé en 2015 dans le Cher afin d’y organiser des lectures et des expositions, cherchaient de nouvelles pistes pour leurs initiatives : sans renoncer au numérique mais en y développant un nouvel outil, un site, qui pourrait à la fois retracer l’historique du collectif, mais aussi y accueillir des propositions inédites ; et concrètement, sur l’île d’Oléron où Herrou a élu domicile en 2019, en s’associant avec une structure qui serait en demande d’événements culturels.
Oléron, Juste en Face de New York a sollicité le collectif à ce moment précis d’interrogations : la cabane (décoration, librairie, salon de thé) située sur le port de plaisance de Saint-Denis d’Oléron avait dans son cahier des charges l’obligation d’organiser de l’événementiel. « Le Mur » — le nom du cycle créé à cette occasion dans ce lieu propice à une nouvelle aventure — a ainsi accueilli trois artistes internationaux en 2021 : Catherine Danou, parisienne et oléronaise d’adoption, avec ses empreintes obsessives sur feuilles de chanvre (« Franchissement des bords »), en juillet ; Stéphanie Corne en août, venue de New York avec ses peintures irisées (« The city that never sleeps »), à partir d’instantanés de personnes endormies dans le métro ; enfin Pelly Angelopoulou à l’automne, artiste pluridisciplinaire grecque basée à Bruxelles, qui présentait quatre collages mêlant des photographies intimes et des détails d’œuvres universelles (« ∏.YTHOLOGIES ») sur le fameux « mur » dédié à l’accrochage des œuvres, dans le petit salon de thé de la cabane.
En 2022, Public Averti a accueilli deux femmes à nouveau, Aude Franjou et Alexandra Guillot. La première physiquement, organiquement presque, tant la matière travaillée à la main — du chanvre cette fois encore, en torsades savantes, serrées, étranglées quasiment pour former ce que l’artiste appelle ses « Coraux » — s’incarnait, non seulement au « Mur » de la cabane, mais lors de la rencontre avec Aude Franjou, dans le geste qu’elle répétait, obsessionnel lui aussi, miroir pour ainsi dire de l’exposition de juillet 2021, et qu’elle mimait pour les spectateurs fascinés. Une œuvre qui ne laisse personne indifférent, disait l’un des visiteurs de l’exposition, familier du travail de la plasticienne : soit on l’adore sans retenue, soit on la refuse tant sa force vient déranger. En août, ce sont les mots affichés au « Mur » du dernier manuscrit d’Alexandra Guillot qui ont questionné les spectateurs, tandis que la voix enregistrée de l’artiste suisse Massimiliano Baldassarri disait le texte, chapitre après chapitre, chaque jour à partir de quinze heures. Alexandra Guillot, résidant à Marseille et dans l’impossibilité de faire le déplacement jusqu’à Oléron, offrait en avant-première « La vie avariée », somme de fragments écrits entre 18 et 25 ans (l’artiste, plasticienne en plus d’être écrivain, est née en 1980), dans une réalisation sonore et musicale de Baldassarri avec le soutien du Service de la culture et des bibliothèques de la Ville de Neuchâtel, et qui fait l’objet d’une série de podcasts, hébergée par Carpe Locum.


Pour clore la saison, Oléron, Juste en face de New York a reçu le 27 août, dans le cadre de l’exposition de Guillot, les créateurs de Public Averti. La rencontre avec le public avait pour but à la fois d’expliquer le travail de l’artiste exposée au « Mur », à partir de quoi Pauline Sauveur et Laurent Herrou ont pu également présenter plus largement les enjeux du collectif, ses doutes et ses questionnements après cinq années d’activité, alors que la pandémie s’annonçait, puis ses métamorphoses (la construction du site, la transition sur Oléron) et ses projets présents et futurs, tant personnels — Sauveur est photographe et auteure, Herrou est écrivain — que collectifs (la série Échos, qui accueille la photographe Emmanuelle Corne, et le cycle Une exposition, dont 2022 verra la quatrième édition numérique en fin d’année).
C’est dans la durée que se construit une histoire, a rappelé Pauline Sauveur, pas au coup par coup : nous avons pu rencontrer au fil des ans des accueils mitigés ou des succès francs autour de nos initiatives, mais il n’en reste pas moins que Public Averti compte aujourd’hui une cinquantaine d’artistes, dont certains ont une reconnaissance internationale, et le site enregistre à ce jour près de mille visites par an. Si ce « public, averti » de nos intentions et de notre engagement, n’est pas toujours au rendez-vous — notamment lors de ce dernier cycle, à Oléron, Juste en face de New York, qui en questionne la pérennité pour l’année prochaine (note du rédacteur) —, nous sommes convaincus que c’est à force d’initiatives telles que « Le Mur » que nous parviendrons à nous imposer dans le paysage culturel et à exister sur le plan médiatique. Et Herrou de surenchérir : la confiance que nous ont fait à la fois les artistes et les structures qui les ont accueillis depuis 2015 vaut la peine que nous nous acharnions, pas seulement parce que nous avons foi en leur travail, mais également parce qu’il en va de la survie de l’art dans une société qui ne jure tristement plus que par la rentabilité. C’est notre rôle, en tant qu’artistes, en tant qu’organisateurs d’événements culturels, d’interroger les réflexes mortifères de cette société en nous assurant, par nos actions et par nos expositions, d’y garder une place qui donne à entendre nos voix et à comprendre nos gestes.
